21 Février 2019

L'atmosphère terrestre s'étend au-delà de la Lune

À partir des données recueillies par la mission SOHO, une équipe franco-russe repousse les limites de l'atmosphère à plus de 630 000 km de la Terre. Notre satellite naturel serait donc plongé dans un bain d'hydrogène provenant de notre atmosphère. Jean-Loup Bertaux, chercheur émérite du Laboratoire atmosphère, milieux, observations spatiales (Latmos) et co-auteur de l'étude, fait le point sur cette découverte.

La géocouronne de la Terre observée par SOHO et l'instrument SWAN (l'illustration n'est pas à l'échelle). Crédits : ESA

Le ciel est bordé par l'horizon mais quelles sont ses limites en profondeur ? La question taraude les hommes depuis toujours. On a longtemps pensé que les objets célestes tels que la Lune étaient plus lointains que les frontières de l'atmosphère qui nous protège et nous enveloppe de sa couche gazeuse. Avec les moyens à sa disposition en 1911, le climatologue Alfred Wegener avait déjà subdivisé l'atmosphère en sous-couches (troposphère, stratosphère, ...) et subodoré l’existence d’un élément encore inconnu qui occupait la couche la plus externe de l'atmosphère, il l'appela le « geocoronium ». À partir d'observations américaines acquises par fusée-sonde de nuit, l'astrophysicien soviétique Shklovsky détecta en 1959 une émission intense caractéristique de l’hydrogène atomique dans cette couche de haute altitude qu'il baptisa « geocorona ».

Cette géocouronne fut l’objet de l’une des premières missions spatiales du CNES, le satellite D2-A Tournesol (1971), proposé par Jacques Blamont, premier directeur scientifique de l'agence. Il faudra attendre la performance des instruments embarqués à bord de la mission SOHO pour déceler la limite supérieure de cette géocouronne qui se fond dans l'espace au point de s'y confondre. Les données enregistrées par le photomètre SWAN ont permis à l'équipe franco-russe dirigée par Jean-Loup Bertaux de calculer que la géocouronne s'étendait jusqu'à deux fois la distance Terre-Lune. L'étude vient d'être publiée dans la revue Journal of Geophysical Research.

Pour obtenir ce résultat, il fallait s'extraire de l'atmosphère et regarder la Terre de loin. En prenant des clichés de notre planète depuis la Lune, la mission Apollo a rendu la géocouronne partiellement visible en 1972, elle apparaissait sous la forme d'un halo lumineux entourant le globe. Cette luminescence provient essentiellement de l'excitation par le rayonnement solaire des atomes d’hydrogène (par fluorescence). En orbitant autour du point de Lagrange (L1), c'est-à-dire à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre, le satellite SOHO (Observatoire Solaire et héliosphérique) a permis de voir la planète et son atmosphère dans son entièreté.

La Terre et sa géocouronne d'hydrogène observées dans l'ultraviolet. Le cliché a été pris depuis la Lune par les astronautes d'Apollo 16, en 1972. Crédits : Nasa

Une affaire de densité

En s'éloignant de la surface terrestre, la densité atmosphérique décroît. Seuls les particules les plus légères, essentiellement des atomes d'hydrogène, parviennent jusque dans la géocouronne où ils se déplacent librement et sans collision, comme des fusées ballistiques. Certains atomes, les plus rapides, échappent définitivement à la gravité de la Terre et forment la partie la plus externe de l’atmosphère. Les atomes qui continuent leur trajectoire se dispersent dans le système solaire. Celui-ci n'est pas "vide", il est constamment alimenté par un flot d’atomes d’hydrogène interstellaire et contient environ 0,01 atome d'hydrogène par centimètre cube. Quant à la géocouronne, elle est constamment alimentée par l’arrivée de nouveaux atomes d'hydrogène provenant de la Terre. Pour identifier la limite de l'atmosphère, il fallait distinguer l'hydrogène originaire de l'atmosphère de celui provenant du milieu interstellaire. Pour cela, l'équipe de Jean-Loup Bertaux s'est appuyée sur une cellule à absorption d'hydrogène capable de différencier les émissions des deux sources. Installée sur l'instrument SWAN, cette cellule a fourni ces mesures il y a plus de vingt ans, aux débuts de la mission SOHO.

Carte de l’intensité lumineuse de la géocouronne d’hydrogène obtenue par SWAN dans la longueur d’onde Lyman-alpha, spécifique des atomes d’hydrogène. La carte est obtenue en balayant le ciel grâce à un système de périscope équipant le photomètre SWAN. L’intensité est codée en couleur, en unités Rayleigh. L’orbite de la lune est représentée par un trait pointillé.
Crédit : Baliukin et al, Journal of Geophysical Research, 2019

"Arrivé en fin de carrière, je peux enfin exploiter des données que je n'ai pas eu le temps d'exploiter auparavant grâce à de jeunes scientifique russes comme Igor Baliukin, principal auteur de la publication", s'amuse Jean-Loup Bertaux, proposant de l’expérience SWAN. Alors que les technologies et les connaissances de l'aérospatiale évoluent à la vitesse grand V, la qualité et la quantité des données de SWAN offrent encore des opportunités de découvertes un quart de siècle après leur acquisition.

Deux débouchés possibles

Ayant fait partie des astrophysiciens qui ont connu la conquête de l'espace, Jean-Loup Bertaux s'émerveille à l'idée qu'en 1972 : "les astronautes à la surface de la Lune ne savaient pas qu'ils baignaient dans l’atmosphère de la Terre !". Cette découverte est aussi un pas de plus vers un affinage des mesures. Elle pourrait servir à corriger les erreurs d'observation du ciel dans l'ultraviolet. En effet, les atomes d'hydrogène émettent un rayonnement ultraviolet qui pourrait parasiter les futures observations astronomiques conduites dans la géocouronne. "Sur la Lune ou dans son voisinage, les télescopes spatiaux étudiant la composition chimique des étoiles et des galaxies devraient tenir compte de ces interférences", estime le chercheur.

Il espère également que sa découverte engendrera d'autres travaux sur les radiations de l'hydrogène comme moyen d’étudier les exoplanètes. La présence d'hydrogène dans la couche extérieure de l'atmosphère indique que la planète considérée contient de la vapeur d'eau. C'est le cas de la Terre, de Mars et de Vénus. Or, la présence de vapeur d'eau est l'indice d'une éventuelle présence d'eau liquide, condition nécessaire pour rendre la planète habitable. Ainsi, les émissions de l'hydrogène atmosphérique que SWAN est capable d'isoler, pourraient servir d'indicateurs pour l’étude de l’atmosphère des exoplanètes. SWAN a encore de beaux jours devant lui.

Reference de la publication

Baliukin, I., J.‐L. Bertaux, E. Quemerais, V. Izmodenov, and W. Schmidt. (2019), SWAN/SOHO Lyman‐α mapping: the Hydrogen Geocorona Extends Well Beyond The Moon, J. Geophys. Res. Space Physics, 124.


Contacts

Igor Baliukin
Space Research Institute
Russian Academy of Science, Moscou, Russie
Courriel : igor.baliukin at gmail.com

Jean-Loup Bertaux
Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS)
Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, France
Courriel : jean-loup.bertaux at latmos.ipsl.fr

Eric Quémerais
Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales (LATMOS)
Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, France
Courriel : eric.quemerais at latmos.ipsl.fr

Bernhard Fleck
Mission SOHO et ESA
Courriel: bfleck at esa.nascom.nasa.gov

Responsable du programme d’exploration du Système solaire
Francis Rocard
Courriel : francis.rocard at cnes.fr
Tél : 01 44 76 75 98 / +33 1 44 76 75 98
Fax : 01 44 76 78 59 / +33 1 44 76 78 59
Adresse :
Centre National d'Etudes Spatiales, 2 place Maurice Quentin, 75039 Paris Cedex 1, France

Pour aller plus loin

Sur le site de l'ESA : http://sci.esa.int/soho/61130-earth-atmosphere-stretches-out-to-the-moon-and-beyond/